LA PROTECTION DES DROITS DE LA NATURE

Pourquoi protéger les Droits de la Nature

En dépit de son utilité et des milliers de lois et conventions dont il a accouché à travers le monde, le droit de l’environnement tel qu’il s’est construit au cours des décennies passées n’est pas parvenu à enrayer les dégradations multiformes du climat, de la biodiversité et des écosystèmes en général. « Les  lois  en  vigueur  relatives  à  l’environnement sont   inefficaces   en   raison   de leur   fondement   conceptuel » rapporte ainsi le Secrétaire Général de l’ONU dans une note de 2016. « Nous n’avons pas besoin de plus de lois, mais de lois différentes » estime en ce sens l’UICN dans le Manifeste d’Oslo de 2016.

Depuis les années 2000, un nombre croissant de pays reconnaissent une série de droits à des écosystèmes telle une rivière ou un glacier. Reconnaître aux écosystèmes leurs droits à l’existence, à la régénération et à la réparation notamment permettrait de rehausser leur niveau de protection. Plus encore, en s’inspirant de la Jurisprudence de la Terre, nos sociétés gagneront à bâtir un nouveau cadre de gouvernance, systémique et harmonieux avec le Vivant. Celui-ci prendra en compte les intérêts des écosystèmes au même titre que ceux des humains. En somme, il s’agit d’un vrai changement de paradigme au regard du droit de l’environnement actuel, essentiellement chargé de réparer les dommages du passé au profit de l’Homme plutôt que d’organiser l’avenir dans l’intérêt de tous les êtres vivants.

Le juriste doit cesser de faire de la biosphère et de ses composants de simples objets de droits, même s’il s’agit du droit de l’Humanité.

Marie-Angèle Hermitte

Comment la nature peut défendre ses droits ?

1) via le système de tutelle

A la manière d’une entreprise, personne morale, un écosystème tel qu’une rivière ou un glacier peut être reconnu titulaire de droits dans un nombre croissant de pays. Selon une première « approche tutorielle », qu’il s’agisse d’un Parlement, d’un juge ou d’une collectivité, l’entité à l’origine de la reconnaissance associe deux éléments dans sa décision :

  • L’octroi de la personnalité juridique à l’écosystème
  • La nomination d’un tuteur ou gardien chargé de défendre ses droits en justice

Le tuteur ou gardien de l’écosystème agit dès lors comme le ferait le tuteur d’un individu juridiquement reconnu comme « incapable ». Ainsi en 2017 en Inde, le Gange reconnu comme personnalité juridique par la Haute Cour de l’Etat d’Uttarakhand a été placé sous la protection de plusieurs « parents » dont le secrétaire d’Etat en chef, un président d’université et autres avocats. Depuis, cette décision a toutefois été suspendue par la Cour suprême indienne. En Nouvelle-Zélande, le fleuve Whanganui dont les droits ont été reconnus en 2017 en Nouvelle-Zélande a quant à lui hérité de deux gardiens : la communauté maorie et un représentant de l’Etat.

2) via le système de droits larges

Selon une seconde « approche de droits larges », l’écosystème, l’espèce, ou l’ensemble des entités naturelles dont les droits reconnus ne se voient pas attachés une personnalité juridique ni un gardien. Ils sont souvent perçus en tant qu’être vivant titulaire de droits. C’est l’approche retenue par la campagne australienne visant à reconnaître les droits de la Grande Barrière de Corail. Selon cette approche ouverte, que l’on retrouve également dans la Constitution équatorienne, chaque individu peut ester en justice pour défendre les Droits de la Nature.

Protection systémique plutôt qu’individuelle

« Etant donné que les espèces n’existent que sous forme d’individus, les droits se réfèrent à des individus et autres groupes qu’ils forment, et non simplement de manière générale à des espèces », envisageait en 2002 Thomas Berry, l’un des pères-fondateurs de la Jurisprudence de la Terre, philosophie d’où proviennent en partie des Droits de la Nature. « Tous les droits sont limités. Les rivières ont des droits de rivières. Les oiseaux ont des droits d’oiseaux. Les insectes ont des droits d’insectes. Les êtres humains ont des droits humains. La différence de l’humain est qualitative et non quantitative. Les droits d’un insecte ne seraient d’aucune valeur pour un arbre ou un poisson. »

S’ils sont donc également reconnus à titre individuel, les droits des entités du vivant demeurent différenciés. Sur cette base, la mise en œuvre de leur protection l’est également. Ce faisant, la protection effective des droits de la Nature doit être envisagée sous un angle systémique, holistique, et non à titre individuel. Autrement dit, une juridiction ne pourra pas reconnaître une violation d’un droit de la nature si un des poissons d’une rivière est pêché ou l’arbre d’une forêt coupé. En revanche, si l’écosystème entier se trouve dégradé (la rivière polluée, la forêt rasée) et que sa capacité à se régénérer est mise en péril, alors un tribunal pourra entendre et juger le cas.

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