Face à l’incapacité des lois environnementales à protéger la Grande Barrière de Corail gravement menacée, l’Alliance Australienne pour les Droits de la Terre vient de lancer une campagne visant à reconnaître cet écosystème unique au monde en tant qu’être vivant doté de droits propres. Une initiative sans précédent qui s’inscrit dans le cadre du mouvement planétaire grandissant des Droits de la Nature et dont notre site est partenaire.
Faire de la Grande Barrière un sujet de droits
En Australie, les lois environnementales n’ont pas au gré des dernières décennies réussi à enrayer les dommages et menaces qui pèsent sur la Grande Barrière : changement climatique, mines de charbon ou encore pollution marine. A ce jour 30% des coraux de la Barrière sont déclarés morts. En somme, l’actuel dispositif juridique australien soutient l’appropriation exclusive de la Nature par l’Homme et contribue à entretenir un système basé sur une croissance sans limites alimentée par l’exploitation déraisonnée des ressources naturelles, estime l’Alliance Australienne pour les Droits de la Terre (AELA), à l’origine de la campagne.
A l’instar d’un nombre croissant d’organisations à travers le monde, l’AELA est convaincue que les écosystèmes disposent d’un droit intrinsèque à vivre, prospérer et évoluer. Ce pourquoi elle œuvre à faire émerger des lois différentes qui protègent les écosystèmes au titre de leur valeur intrinsèque et non plus en raison de leur seule utilité pour l’Homme. Il s’agit d’adopter des lois qui reconnaissent notamment aux écosystèmes leurs droits de vivre, prospérer et ne pas être pollué ni détruit. Dans cette optique, la campagne « Les Droits du Récif » (« Rights of the Reef » en anglais) fraîchement lancée vient étoffer le mouvement mondial des Droits de la Nature qui a vu, depuis 2008, un nombre croissant de pays comme l’Equateur, la Nouvelle-Zélande, la Colombie, l’Inde ou encore les Etats-Unis, reconnaître des droits à des écosystèmes locaux tels que l’Amazonie, voire à l’ensemble des entités naturelles de leur territoire. Dans ce sillage, la campagne australienne entend donc faire reconnaître la Grande Barrière de Corail, actuellement considérée comme simple propriété humaine, en tant que sujet de droits.
« À l’heure actuelle, les lois qui protègent la Grande Barrière de Corail n’empêchent pas les développements indésirables à grande échelle ni les impacts du changement climatique. Nos projets de loi montrent que si la Grande Barrière de Corail avait ses propres droits et si les communautés pouvaient les appliquer, ces dernières et les citoyens concernés pourraient intenter une action en justice pour faire cesser les mines de charbon indésirables, arrêter le défrichement à grande échelle, protéger et restaurer le récif », indique Michelle Maloney, docteure en Droit et Responsable Nationale de l’AELA. « Nous croyons que les lois reconnaissant les droits de la nature constitueraient un grand pas en avant, car elles permettraient à plus de personnes d’utiliser la loi pour défendre la nature et amorceraient un changement culturel important en faveur de la protection plutôt que de la destruction de la nature. »
Nouvelles lois et réforme de la constitution
En pratique, l’objectif de l’AELA est double. A court terme, il s’agit de faire connaître l’initiative en Australie et à travers le monde via une pétition qui vise à récolter 10 000 signatures d’ici fin octobre 2018. A plus longue échéance, au cours des 2 à 3 prochaines années, l’enjeu est de mener un travail de plaidoyer visant à promouvoir l’adoption des projets de lois sur les Droits de la Nature. Ces textes sont destinés aux différents étages de l’appareil juridique australien : local, étatique et fédéral.
L’Alliance invite ainsi les communautés locales et villes australiennes à s’emparer du sujet des Droits de la Nature et voter des lois locales consacrant à la fois les droits de la Grande Barrière de Corail (GBC), reconnue comme « être indivisible et un être vivant doté de ses propres droits », et celui de la population à un environnement sain. Dans le même esprit, le projet de loi de l’Etat du Queensland, au large duquel se situe la Barrière, lui reconnaît aussi ses droits à notamment exister naturellement, prospérer, être réparée, préservée et protégée des dérèglements climatiques issus des activités humaines.
Les projets de lois locales et du Queensland listent par ailleurs une série non exhaustive d’activités prohibées parmi lesquelles figurent l’extraction et la fracturation dans les terres et eaux australiennes ainsi que la construction de nouveaux ports dans ou adjacents à la Barrière. En complément de ces deux outils, l’ALEA a également rédigé un projet d’amendement constitutionnel. Plus succinct que les textes de lois, il en reprend quelques éléments fondamentaux tels que la reconnaissance des droits de la Grande Barrière.
Tout résident pourra défendre les droits de la Grande Barrière de Corail
Au terme des trois projets de textes, « la Grande Barrière de Corail et tout écosystème, communauté naturelle et espèces natives, qui en sont part et en dépendent peuvent défendre les dispositions de cette loi via une action engagée devant toute juridiction pertinente ». Autrement dit, la Grande Barrière pourra défendre ses droits devant les tribunaux australiens. Mais comment cela fonctionnerait en pratique ? Le texte du Queensland précise que « tout résident australien peut défendre ou faire appliquer la disposition de la présente loi dans tout tribunal approprié ».
« Nos projets de lois pour la GBC visent à permettre à toute personne en Australie de défendre les droits du récif. Cette approche est similaire aux droits généraux énoncés dans la Constitution équatorienne, c’est-à-dire qu’ils sont des droits « larges », que tout le monde peut appliquer. Ils ne se limitent pas à un ensemble étroitement défini de « gardiens » comme c’est le cas pour la rivière Whanganui en Nouvelle-Zélande », explique Michelle Maloney. « Les droits de la personnalité juridique énoncés dans la loi néo-zélandaise sont spécifiques et propres à leur situation, encadrés par le peuple maori de ce pays. Pour l’Australie, nous avons délibérément choisi une autre approche, celle de droits « larges » car nous voulions démontrer comment les droits de la nature peuvent aider les communautés et les citoyens concernés à défendre les droits du monde vivant », ajoute-t-elle.
Enfin, les projets de loi locale et du Queensland reconnaissent le droit des Peuples des Premières Nations (également appelés Aborigènes) de s’exprimer au nom de la terre de leurs ancêtre et de se constituer partie d’un procès déjà engagé sur la base des lois en questions.
Notre site Droits de la Nature est partenaire de campagne #RightsoftheReef, au côté notamment l’Alliance Mondiale pour les Droits de la Nature. Pour plus d’informations, rendez-vous sur le site de la campagne.
Nicolas Blain (@Nicolas_Blain sur Twitter)