La protection juridique de la Nature doit-elle s’exercer via la seule mise en œuvre de droits conférés aux humains ou peut-elle s’affirmer de façon autonome au titre de la valeur intrinsèque d’une Nature disposant de droits propres ? Dans un rapport de 2017, le Rachel Carson Center distingue cinq visions motivant la protection juridique de l’environnement comme autant de statuts juridiques de la Nature. Parmi eux, la personnalité juridique de la Nature apparaît l’approche la plus innovante et inspirante.

Protection droits nature

Peu ou prou anthropocentrique, tout système juridique reflète l’état des valeurs et intérêts d’une société donnée et notamment sa relation au Vivant. Fruit du contrat social, il se transforme au gré des époques à mesure que les mœurs et activités humaines évoluent. Et tandis que les défis environnementaux aiguisent substantiellement leurs menaces sur le développement humain et le bien-être des écosystèmes, la protection juridique de la nature devient d’importance majeure. Face à cette réalité, au nom de quoi peut-on et doit-on protéger juridiquement la Nature ? Dans son rapport Can Nature Have Rights ? paru en 2017, le Rachel Carson Center de Munich distingue cinq statuts juridiques de protection de la Nature.

1. Protéger la Nature en tant que réflex normatif aux Droits de l’Homme

La Nature n’est ici pas protégée pour elle-même. Elle reçoit une protection indirecte à travers la préservation des droits humains. Il s’agit d’une « protection réflex ». En ce sens, si la Nature subit des dommages qui affectent la jouissance d’un droit de l’Homme, les victimes humaines ont le droit d’être protégées. La mise en œuvre de la protection de leurs droits profitera alors indirectement à la nature.

2. Préserver l’environnement en tant qu’héritage commun de l’Humanité

La notion d’héritage commun de l’Humanité est issue du droit international. Elle vise à protéger l’environnement via la création d’institutions internationales dévolues à cette tâche. En pratique, la portée du concept demeure limitée car réduite à des entités emblématiques de la nature (plancher océanique, Antarctique…) dont elle n’empêche pas l’exploitation des ressources. Parallèlement à l’idée d’héritage, la notion de préoccupation commune de l’Humanité a également vu le jour en droit international. On la retrouve notamment dans le préambule de la Convention sur la diversité biologique (CIB) de 1992. Elle demeure toutefois plus faible que le concept d’héritage. Lors de la rédaction de la CIB, les Etats se sont montrés réticents à l’idée d’accorder un statut juridique robuste à la Nature, craignant qu’il n’empiète sur leur souveraineté d’exploiter leurs ressources naturelles.

3. Sauvegarder la Nature en tant qu’objectif constitutionnel de protection de l’environnement

Selon cette approche, l’Etat a une obligation constitutionnelle de protéger l’environnement. Elle figure notamment à l’article 20a de la Constitution allemande et à la lettre de l’article 2 de la Charte de l’Environnement française, reconnue de valeur constitutionnelle. Dans le cas allemand, « l’État protège également les fondements naturels de la vie et les animaux par l’exercice du pouvoir législatif, dans le cadre de l’ordre constitutionnel, et par l’exercice des pouvoirs exécutif et judiciaire, dans le respect de la loi et du droit ». Le texte ne reconnaît pas de droits aux citoyens ni à la nature, pas plus qu’il n’affirme clairement la nécessité de protéger l’environnement. L’ambition de la protection de la nature est en outre logiquement soumise au respect de la loi, laquelle demeure le fait du législateur répondant encore essentiellement à des intérêts court-termistes.

En France, l’article 2 de la Charte de l’Environnement dispose que « toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement ». A commencer par l’Etat. Depuis l’adoption du texte en 2005, force est de constater qu’en en dépit de certaines avancées, l’Etat français a failli à cette exigence dans bien des domaines, à l’instar du recul préoccupant de la biodiversité. Une des raisons de cet échec tient dans le préambule de ladite Charte qui reconnaît l’environnement comme « le patrimoine commun des êtres humains ».

Autrement dit, la nature anthropocentrée du texte enracine ainsi des cadres juridique et de gouvernance au service des seuls intérêts humains et d’un système économique non durable. A cet égard, elle est donc incompatible avec le souci des générations futures dont témoigne pourtant ce même préambule. Cette contradiction inhérente de la Charte tempère ce faisant la capacité de l’Etat à satisfaire son exigence constitutionnelle à la hauteur véritable des enjeux.

4. Préserver la Nature au nom du droit de l’Homme à un environnement sain

Les êtres humains disposent d’un droit subjectif à vivre dans un environnement sain au terme de cette quatrième vision. L’idée notamment inscrite à l’article 42 de la Constitution russe (« Chacun a droit à un environnement favorable ») trouve ses racines dès la Déclaration de Stockholm de 1972. Le principe premier du texte dispose que « L’homme a un droit fondamental à la liberté, à l’égalité et à des conditions de vie satisfaisantes, dans un environnement dont la qualité lui permette de vivre dans la dignité et le bien-être ».

Selon l’ONU, en 2018 au moins 44 pays ont pour projet d’inscrire ce principe dans leur constitution. Résolument anthropocentré, ce droit constitue néanmoins une réelle avancée par rapport aux approches traditionnelles. Toutefois, comme pour bien d’autres droits, la question de sa mise œuvre demeure essentielle, à l’instar de la Russie, pays qui fait face à de très sérieux problèmes environnementaux malgré l’adoption du droit à un environnement sain dans sa constitution de 1993.

5. Protéger la Nature en tant que personne juridique disposant de droits

La nature est ici reconnue comme personne dotée de droits propres, comme le sont depuis fort longtemps des entités intangibles telles que des entreprises, fondations ou associations. C’est, selon le Rachel Carson Center, « le cadre juridique le plus inspirant que le droit puisse offrir à la Nature et à la société ». La reconnaissance de la personnalité juridique de la nature fait l’objet d’un élan grandissant à échelle internationale depuis les années 2000. Pionnier, l’Equateur est le premier pays à reconnaître les Droits de la Nature dans sa constitution de 2008. Envisagée en tant que Terre mère, la Nature dispose d’une série de droits au terme de l’article 71 qui dispose que : « La nature, ou Pacha Mama, où la vie est reproduite et se produit, a droit au respect intégral de son existence et au maintien et à la régénération de ses cycles de vie, de sa structure, de ses fonctions et de ses processus évolutifs ».

Depuis, de nombreux autres pays ont reconnu à échelle nationale ou locale par le biais de collectivités ou tribunaux les Droits de la Nature. La seule année 2017 a notamment vu l’Inde, la Nouvelle-Zélande et la Colombie pour ne citer qu’eux reconnaître des droits à des rivières, glaciers ou encore forêts. Pour assurer l’exercice des droits de ces entités naturelles, des tuteurs légaux sont nommés. En cas de menace ou de violation de l’un des droits d’un écosystèmes, ces tuteurs doivent ester en justice.

Les Droits de la Nature, protection juridique la plus innovante et inspirante

Parmi les cinq statuts juridiques de la Nature, le Rachel Carson Center plébiscite sans détour celui de la personnalité juridique conférant à la Nature des droits subjectifs. « Malgré les défis accompagnant l’évolution du cadre juridique des Droits de la Nature, le plus important est de ne pas reculer vers une protection indirecte de la nature sous la forme du droit de l’Homme à un environnement sain. Les juristes devraient plutôt imaginer la possibilité de reconnaître la Nature en tant que personne juridique titulaire de droits propres comme le concept le plus innovant et inspirant pour préserver la planète et l’Humanité. »

En ce sens, l’invitation du Rachel Carson Center rejoint l’appel formulé en 2016 par le Manifeste d’Oslo de l’UICN. Constatant l’échec du droit de l’environnement traditionnel, le texte exhorte à une transition d’un droit environnemental passéiste vers un droit écologique, non anthropocentré. Il invite les juristes de l’environnement à en être les artisans. Et au cœur des valeurs et principes du droit écologique, le Manifeste liste en son paragraphe 9 les Droits de la Nature et de la Jurisprudence de la Terre.

Nicolas Blain (@Nicolas_Blain sur Twitter)

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