Objet de multiples dégradations, la rivière Ethiope irrigant le sud du Nigeria pourrait devenir sujet de droits grâce aux efforts conjoints du Earth Law Center et de l’ONG RETFON. Elle deviendrait alors le premier cours d’eau africain à être reconnu titulaire de droits. Il s’agirait d’un précédent historique ouvrant la voie au développement des Droits de la Nature en Afrique.
Longue de quelque 70 km, la rivière Ethiope irrigue l’état du Delta situé au sud du Nigeria. Elle traverse quatre départements locaux qui comptaient 1,7 million d’habitants en 2013. Le cours d’eau est notamment un lieu de pratiques cultuelles pour les fidèles des religions traditionnelles Olokun et Igbe. Et tandis que le Nigeria se veut le troisième pays d’Afrique abritant la plus riche biodiversité, aucune de ses rivières ne répond aux standards de l’Organisation Mondiale de la Santé. C’est le cas de l’Ethiope. La mauvaise qualité de son eau est à la fois dangereuse pour l’utilisation humaine et constitue une menace pour les écosystèmes environnants jusqu’aux zones côtières.
Sur place, un ensemble de pressions affectent la rivière. Celle-ci a été historiquement largement utilisée pour des activités professionnelles et récréatives : pêche, baignade, nettoyage de vêtements. Le cours d’eau a également servi de réceptacle à l’élimination de déchets industriels et de produits de consommation. A cela s’ajoute une autre forme de contamination. Lors de la saison des pluies, lorsque les eaux se retirent après avoir débordé du lit de la rivière, elles charrient des déchets ménagers et agricoles tels que des engrais et autres pesticides.
Reconnaître les droits de la rivière : seule méthode de protection permanente
Dans ce contexte, la River Ethiope Trust Foundation (RETFON), une ONG nigériane, œuvre depuis 26 ans à la protection de la rivière et des droits des communautés qui en dépendent. L’organisation s’oppose en ce sens aux projets de développement compromettant la qualité de l’eau et encourage les initiatives durables de fourniture d’eau et énergie en partenariat avec un réseau d’acteurs locaux, nationaux et internationaux : citoyens, gouvernements et entreprises. Son action en collaboration avec les gouvernements locaux et fédéraux a notamment permis plusieurs succès depuis les années 2000. L’ONG a notamment fait cesser les activités polluantes de diverses entreprises sur le cours d’eau.
Forte de décennies de collaboration avec ses parties prenantes en faveur de la mise en œuvre du droit environnemental, RETFON dresse aujourd’hui un constat sans ambages. Selon elle, la seule méthode permettant de restaurer de façon permanente la rivière Ethiope est de la reconnaître titulaire de droits. Cela induit un changement de paradigme profond. Pour tout considérable que soit ce changement, RETFON peut compter sur le soutien des autorités locales et d’acteurs nationaux et internationaux, ainsi que sur la jeune génération nigériane qui manifeste un vif intérêt en faveur de la protection de l’environnement.
Quels droits pour la rivière Ethiope ?
Pour parvenir à faire de la rivière Ethiope un sujet de Droits, RETFON et le Earth Law Center ont signé un partenariat début 2018. L’ONG nigériane bénéficiera de l’expérience du Centre américain spécialisé dans les droits de la nature. Ce dernier est notamment à l’origine du projet de Déclaration Universelle des Droits des Rivières. L’enjeu concernant l’Ethiope est précisément de lui reconnaître les Droits prévus par ladite déclaration. Il s’agit du droit de couler, de réaliser des fonctions essentielles dans son écosystème, d’être exempte de pollution, d’être alimentée par des aquifères durables, ainsi que du droit à la biodiversité et à la restauration.
Sous la conduite de RETFON et à la lumière de la sagesse et des contributions des communautés locales, les experts du Earth Law Center fourniront ainsi leurs conseils sur la façon de définir et de mettre en œuvre les droits de la rivière. RETFON s’emploiera par la suite à faire en sorte que ces droits, une fois reconnus, favorisent le plein développement du bien-être humain et environnemental.
Une promesse pour le développement des droits de la Nature en Afrique
Si elle aboutit, la coopération entre RETFON et le Earth Law Center contribuera à faire de l’Ethiope le premier cours d’eau africain reconnu comme sujet de droits. Cette consécration s’inscrirait dans un contexte mondial amorçant une reconnaissance des droits des fleuves. Au cours de la seule année 2017, le fleuve Whanganui en Nouvelle-Zélande et le Gange en Inde pour ne citer qu’eux ont été reconnus titulaires de droits. En avril 2018, la Cour suprême colombienne a quant à elle fait du fleuve Amazone un écosystème sujet de droits.
Au-delà de l’espoir que représente l’Ethiope pour la progression internationale des droits des rivières, sa future reconnaissance en tant que personne dotée de droits pourrait constituer un précédent historique en Afrique. Il ouvrirait la voie au développement des Droits de la Nature à travers le continent.
Nicolas Blain (@Nicolas_Blain sur Twitter)